Vous ne le voyez pas tout de suite, mais très vite. Le premier jour, il y a trop de nouveaux visages, une farandole de prénoms comme autant d’espèces végétales dans un jardin botanique, que vous essayez de mettre en ordre dans votre boîte crânienne. nerfs à vif
Chaque année, on redémarre cette dernière pour que l’application dénomination fonctionne avec fluidité. Cette appli, c’est comme la première ligne de code de l’escalier dématérialisé qui vous mène jusqu’au saint des saints de votre métier – la connaissance de vos élèves. nerfs à vif
L’identité des élèves réside de manière primale dans les quelques sonorités syllabiques par lesquelles on les désigne – ce que montrent leurs réactions, jamais passives, lors de l’appel du début de séance. Ces quelques sons, plus ou moins chantants, les font paraître des oiseaux migrateurs, composant un de ces vols spectaculaires, qui passent au-dessus de la France à intervalles saisonniers.
Au début de l’année, lui, vous ne voyez pas qu’il est un spécimen unique au milieu de ses congénères – pas non plus parfaitement identiques, mais moins disparates les uns par rapport aux autres, qu’il ne l’est lui-même dans le contexte social qu’on lui impose pour le meilleur et pour le pire. nerfs à vif
Il faudrait pouvoir éviter à certaines personnes l’exposition au contexte social, leur laisser le temps de s’adapter à leur contexte familial… Leur laisser le temps de vivre un peu, avant de chercher à les faire vivre pour les autres, car certains doivent supporter depuis leur plus jeune âge des errements et leurs conséquences, dont ils sont parfaitement innocents. nerfs à vif
Parfaitement. La perfection de la naissance, aussi parfaite quand elle est injuste. La vie est injuste, dit-on parfois à certains, mais lui, pas la peine de le lui dire, il le sait – pas la peine ni d’intérêt à alourdir sa barque qui tangue entre les rives du fleuve Fortune. nerfs à vif
Ce gamin, c’est l’humanité puissante de chacun, mise à nue, vous arrivant de plein fouet dans la figure : rien que le premier regard que vous échangez vraiment indique qu’il y a anguille sous roche. Ce sont ses yeux noirs, profonds, délavés à force d’avoir pleuré, rouges en nervures sur le fond blanc de la pupille, à force de vivre au milieu des passions, seulement des passions. nerfs à vif
Le gamin est passion, électrique, semblable à une girouette, parlant à la cantonade, partageant avec tout et tout le monde ses pensées intimes et fugaces.
Mais c’est un bon gosse,.un vrai bon gosse, quand on sait l’épaisseur de son cuir.– un gosse qui en veut peut-être plus.que tous les autres réunis, qui veut vivre, avec une rage,.impressionnante et inquiétante à la fois – rempli d’espoirs malgré la société.qui paraît liguée contre lui.
Oui, car la société, même si en certains endroits,.s’efforce d’être bonne, a des limites, brûlant.cruellement les corps et les esprits qui les outrepassent – délibérément ou contre leur gré,.qu’on soit bon, qu’on soit mauvais ou un peu des deux.
Lui, c’est le plus injuste, le plus absurde. Il n’a rien demandé à personne et est, seulement, un enfant, dont la belle candeur – un peu brutale – est toujours dans la place malgré les modèles qu’il enregistre de plus en plus assidûment, dans les coins où on le fait traîner.
À deux reprises déjà, il a montré cette violence crue. nerfs à vif
D’abord en classe, où les relations.interpersonnelles sont difficiles à gérer lorsqu’on est à fleur de peau.(cf. : la définition de « potache » dans le Dico des Académiciens). Une violence qui, de plus, est tournée vers un ennemi invisible : le système et la réputation,.qui n’ont pas de visage mais dont la réalité est sensible quand vous sortez de leurs cadres,.réalité qui finit par se cantonner aux apparences, tant ils sont dépassés par le phénomène. Heureusement,.là où se trouve le gamin,.la réalité est humanisée par les acteurs de terrain – mais chut ! ensuite
Ne le dites pas trop fort – plus souple, qui s’adapte mieux à l’inadaptation, et qui par le verbe, la patience, la persévérance, parvient même à faire des miracles. nerfs à vif nerfs à vif
Jugez plutôt : passé les deux crises, traitées,.à la fois, avec pragmatisme et rigueur administrative, le garçon a compris où résidait le bien dans et pour sa personne.et se montre depuis lors coopératif, l’œil entendu quand vous cherchez son regard,.l’esprit en éveil,.aux aguets, pour ne pas risquer de laisser passer un de vos conseils. Il a toujours des gestes, des paroles, un relationnel qui se distinguent des autres, d’où s’échappent,.telle une inondation, un appétit de vivre, un désir d’agir,.une volonté de construire,.belle et même stimulante à voir – même si elle nécessite un léger ajustement du seuil de tolérance professorale. Mais ses mouvements d’humeur,.ses transports d’émotion, maintenant, vont dans le bon sens. nerfs à vifnerfs à vif
Oui, il faut toujours avoir deux bouches,.quatre oreilles, dix bras, pour gérer d’un côté la classe, de l’autre les quelques électrons libres, et enfin, sur l’ultime grève du port d’embarquement, lui, qui vous contemple avec des yeux avides d’attention. nerfs à vif
Et l’effort nécessaire pour accomplir.cet exercice acrobatique.est toujours récompensé au centuple, par les moments de grâce où les sourires et la participation active de chacun,.lui et ses interventions surprenantes compris,.font de votre cours la plus belle Assemblée des Égaux qui soit ! ensuite
Jean-Baptiste Veber pour l’association Oze
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