L’harmonie de la jungle, ou la découverte de l’école-opéra

Première impression du nouveau

Pour le « nouveau », prof ou élève, le milieu dans lequel on l’introduit peut aussi bien ressembler à la jungle, sorte de microparc naturel tanzanien. Pour préserver le futur vert des nations, on y laisse les prédateurs dévorer les herbivores ou s’entredévorer entre eux, afin d’accéder au seul point d’eau disponible de la savane – dont l’équivalent, à l’école, serait les toilettes, aussi inaccessibles que la Tour d’Argent pour le Français lambda.

opéra jungle école

En ce qui concerne les profs, la loi de nature est plus policée, mais gare aux écarts quant aux us et coutumes du milieu enseignant, obscurs comme l’est la « politique de transparence » de notre actuel gouvernement. Au niveau des élèves, c’est une loi de nature pure, sans accroc, qui s’impose, une loi implacable, cruelle. Mais malgré son joug, on trouve déjà parmi les apprentis sorciers des personnes bien lunées – en espérant qu’elles le restent malgré le passage aux embêtements de l’âge adulte –, ressource relativement rare et recherchée, par tous les novices paumés, dont les cous font girouette, les yeux se perdent au-delà de l’horizon, en quête d’une personne d’apparence sympa.

 

 

Où l’on découvre ce que la première note de l’opéra peut provoquer

L’appoggiature est une petite note de musique avant la note principale d’une mélodie, qui peut servir à lancer un opéra ou tout mouvement musical d’ampleur. Ce court instant est crucial car il est pour beaucoup dans l’absorption de l’auditeur par l’œuvre d’art – ou en cas d’échec, dans son attente ennuyeuse sur son seuil.

 

L’appoggiature ressemble au premier cours de l’année, d’une importance cardinale car il marque le début de la mélopée de l’année scolaire. Comme l’appoggiature, le premier cours doit être unique, pour chaque année, pour chaque classe. Cette singularité s’oppose aux autres cours, qui ne peuvent, malheureusement pour les élèves, pas tous être inédits, mais heureusement pour l’État qui, à un opéra, préfère le ronron d’un moteur diesel produisant des objets à la chaîne.

 

Quoiqu’on en pense ou veuille en penser, la nature des enfants les empêche absolument de devenir des objets interchangeables et bon marché ; et les cours ressemblent bel et bien à de longs morceaux de musique avec des rebondissements innombrables, surprenants, déroutants, des solos, des chœurs, des crescendos, des voix couvrant toute la gamme des tonalités – la mue pouvant survenir assez tôt chez certains.

 

Du prof, de l’opéra et de la vie

Si le premier cours est une appoggiature, l’année un opéra et les élèves les musiciens, les chanteurs d’un ensemble symphonique, dont la diversité fait la richesse de l’œuvre, le prof fait office de chef d’orchestre. S’il doit se distinguer par une technique parfaite, des contenus maîtrisés, la majeure partie de sa tâche consiste à donner vie simultanément au groupe et aux individualités, formant la matière de sa troupe, à guider leurs mouvements pour atteindre à l’harmonie la plus juste possible, comme le chef d’orchestre coordonne un ensemble qui, sans lui, ne seraient que dissonances et virtuosités solitaires, inaudibles au milieu de la cacophonie des élèves démobilisés.

 

Les métaphores sont inépuisables, pour décrire l’atmosphère d’une classe vivante, d’un lieu saturé d’électricité et de vibrations en raison de la présence nombreuse d’enfants. Les limites du réel s’estompent à cause de ou grâce à – choisissez la locution que vous préférez selon votre humeur – l’esprit de curiosité, de découverte, qui animent les encore-non-citoyens de la Nation. Cette plasticité du cerveau et des volontés des élèves, si on se donne – et si on veut bien nous donner – les moyens d’en tirer parti, permet de comprendre pourquoi on trouve toujours des personnes pour dire que « tout est possible ».

(publié le 13 septembre 2014 sur le blog « Du matin et du soir »)

Jean-Baptiste VEBER pour l’association Oze

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