Quand on est habitué aux « grands » dont il faut savoir endiguer la montée du sentiment de puissance,.qui résulte de la décharge massive d’hormones qu’ils subissent. On est toujours surpris par les réactions des « petits », en particulier celles des 6ème, tout neufs dans un univers qui prend clairement ses distances avec l’époque d’insouciance dont ils sortent. Ils le sentent bien, quoiqu’ils ne le comprennent pas forcément, mais à cet âge, ils font encore confiance aux adultes, acceptent donc la plupart du temps, avec un sourire mi-figue mi-raisin, les nouveaux devoirs qui leurs sont imposés. épreuve
Ceux qui refusent le manifestent par des réactions variées,.qui vont du gros chagrin à l’étourderie la plus ahurissante. Mais ils passent encore rarement par de noires colères,.quoique impossible soit un mot inutile pour discuter de l’enfance. Il se trouve toujours de petites terreurs pour donner aux profs l’impression qu’ils font un métier de combat. épreuve, enfin
Présenté ainsi, le passage au collège paraît un mal nécessaire. Il semble commencer d’installer la.Terre sur les frêles épaules de nos constructeurs des sociétés futures. épreuve, enfin
Si l’on adopte le point de vue de certains élèves, pis qu’un mal nécessaire,.ce nouveau genre d’établissement dont on leur imagine, grâce à certain raccourci de la pensée, la marque brûlante imprimée sur le dos, comme dans les temps passés, âges de douleurs et de fer. Ce nouveau genre d’établissement paraît même une tragédie, orchestrée sans échappatoire possible, que dis-je une tragédie ?.un véritable complot contre la douceur de vivre des jupes de leurs mères.
Pauvres petits humains, il faut les.voir trembler à la moindre remarque,.des mains, des lèvres,.des yeux, bégayant une réponse inaudible lorsqu’on leur demande leurs nom et prénom au hasard d’un couloir car ils ne se retrouvent, sans doute par ignorance ou maladresse, pas là où ils devraient être. Tout est sujet à grosses larmes, sanglots sourdement contenus. épreuve, enfin
Les élèves n’extériorisent pas leurs angoisses de la même manière, mais aucun n’échappe au serrement de cœur de son intuition, qui lui indique qu’il n’est plus, ne sera jamais plus, logé à la même enseigne. Désormais, devine-t-il, on attend de lui des réalisations dont il pensait que la responsabilité incombait, pour l’éternité, à la sphère des adultes, cet univers de géants dont toutes les apparences donnaient à croire qu’il était à leurs services pour le restant de ses jours. épreuve, enfin
Pour la plupart mais pas tous, car certains supportent déjà leur poids d’épreuves, pour la plupart,.la vie apparaît dans sa réalité crue, insaisissable, méchante avec qui.préfère la regarder de l’extérieur,.sans prendre de risque. épreuve, enfin
Mais qu’on ne s’y trompe pas, tous souhaitent prendre leur part de risques,.car ne connaissant pas autre chose que le confort presque écœurant de l’enfance,.ils veulent trouver matière à s’amuser comme les grands, imiter leurs spectacles, la manifestation de leurs sentiments,.de leurs volontés surdimensionnées, comme trop vastes pour remplir le cœur et ne pas défaillir sous la violence de l’inspiration mais qui pourtant continuent d’aller de l’avant et parviennent même à réaliser ce qui aurait pu sembler la plus folle des entreprises de prime abord. épreuve, enfin
Les petits veulent être grands et c’est émouvant de voir leurs efforts pour défendre leurs convictions minuscules – en serrant les dents, reniflant le plus fort possible, pour ne pas s’effondrer en larmes devant le prof qui leur parle avec toute la franchise et la vivacité des adultes et pas comme à des bébés ! Oui, mais tout compte fait, c’est bien difficile de s’y habituer. épreuve, enfin
Pas d’inquiétude cependant, surtout si vous êtes parents et lisez ces.lignes inquiétantes,.la nature humaine est en fait très labile : le cristal se transforme, au gré des progrès, des réprimandes, des expériences, en diamant brut, qui apprend peu à peu à se polir – ou qu’on polie de force, à l’aide de fiches de suivi et autres dispositifs contractuels, visant à rendre l’élève « autonome ». épreuve, enfin
Ainsi la petite F…, arrivée en pleurs et sanglots un lundi matin dans le cours de M. V.,.un barbu au physique impressionnant et à la voix de stentor peut-il seulement avoir une mère cet individu ? Né prof de toute évidence… épreuve, enfin
Après une petite discussion avec l’énorme monsieur, il n’a pas fallu plus de vingt-quatre heures, tout compte fait, à la petite F… pour revenir guillerette, conquérante même,.où son prof découvrit d’ailleurs qu’en lui regonflant le moral, peut-être avait-il ouvert la boite de Pandore,.une gentille Pandore mais avec un caractère déjà trempé, des opinions solides et une langue relativement bien pendue.
Que dire aussi du gentil R…, insouciant comme une cigale au moment de montrer un cahier déjà incomplet, seulement quelques semaines après la rentrée… Il changea radicalement de ton et de teinte, en voyant, en écoutant la réaction exagérément outrée de l’irrécupérable M. V., brute d’entre les brutes – ce que semblait crier le regard de R…, se gonflant de grosses gouttes de pluie tandis que le prof lui réexpliquait par a+b comment mettre les points sur les i. épreuve, enfin
Mais non, il ne craqua pas, peut-être grâce à cette phrase de M. V. : « Il y a des choses plus grave dans la vie, bonhomme. » Mieux, après quelques minutes de cours où il parut abattu.en fait, pensa M. V., qui craint toujours de rayer le cristal par quelque propos inconsidéré. En fait, il est en train de se questionner sur ce qui a été dit et va finir par en prendre son parti, avec enthousiasme encore. De fait, vers la fin de l’heure, il arborait un sourire et des yeux pleins de convictions à destination de son professeur, qui disaient : « Ne t’inquiète pas, continue ainsi, je sais que tu veux mon bien et je vais t’aider à le trouver. »
Comment appelle-ton les alchimistes qui essayent de transformer le cristal en diamant ?
article publié initialement sur leonbellevalle.blog.lemonde.fr/…-diamant/
Jean-Baptiste VEBER pour l’association Oze
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