Le livre d’Emmanuelle Opezzo, tout en mots simples et justes, est de ceux qu’on referme le cœur léger et le sourire aux lèvres : c’est pour mieux y revenir ! Dans Vivre la pensée Montessori à la maison, l’auteure, qui a fondé la maison Koko Cabane et anime des ateliers pour adultes et enfants, nous donne à voir ce qu’est la pédagogie Montessori : d’abord une philosophie de vie, une attitude différente vis-à-vis de l’enfant : un nouveau regard, certainement pas une méthode.
Maria Montessori : un regard renouvelé
Le lecteur sera peut-être surpris de constater qu’une large partie de l’ouvrage ne concerne pas directement la mise en place de techniques particulières. Mais c’est bien là la volonté de l’auteur, pour deux raisons : rendre accessible la pensée de Maria Montessori au plus grand nombre et aller au-delà de la vision stéréotypée que l’on a de cette pratique qu’on associe trop souvent au matériel spécial qu’elle fit fabriquer au cours de ses expériences pédagogiques.
Oui, tout le monde peut s’inspirer de la pensée de Maria Montessori et en tirer des enseignements précieux au quotidien ; et non, pas besoin de se mettre en quête d’un matériel ultra-sensoriel complet pour cela ! Pour Emmanuelle Opezzo, la pédagogie Montessori est un regard qu’on pose sur l’enfant pour mieux comprendre son processus d’apprentissage. L’adulte doit donc apprendre à se détacher des finalités qui l’obnubilent au point de gâcher les relations filiales. Si le travail qu’on demande à l’enfant n’est pas parfaitement exécuté, est-ce bien grave au fond ? L’essentiel est de lui permettre d’affiner son intelligence et sa motricité, la perfection c’est pour plus tard… si la perfection existe !
On sait que Maria Montessori progressait dans sa connaissance de l’enfant par cette observation pleine d’empathie et en tout cas dénuée de jugement, qui lui permettait de dégager ce qu’elle pensait être les grandes lois internes qui gouvernent chaque petit être humain. Or ce qui altère le regard que les parents peuvent porter sur leur progéniture, c’est bien souvent une série de croyances négatives, véhiculées par la société et qu’ils reprennent plus ou moins consciemment à leur compte.
Tenter le rire et la bienveillance
Quel dommage, semble nous dire l’auteur, de passer devant ces moments qui pourraient être empreints de complicité et de tendresse pour des peurs infondées ! Et que d’énergie dépensée dans un rapport de force que l’adulte fabrique de toute pièce ! Qui n’a jamais entendu ces fameuses phrases qui disent toute la crainte du père et de la mère (et de tout leur entourage !) de perdre le contrôle de la situation : « ne cède pas à son caprice, il aurait l’impression d’avoir gagné », « il me teste, il ne faut pas que je faiblisse : reste ferme ! ».
A juste titre, Emmanuelle Opezzo rapproche ces phrases apparemment anodines d’un vocabulaire guerrier : c’est la guerre au quotidien entre les parents et leurs enfants, c’est à qui aura le dernier mot, et si l’enfant pleure, c’est par stratégie. Petit rappel : on parle dans l’ouvrage d’enfants aux âges compris entre 0 et 6 ans. Et avant 3 ans, le caprice n’existe pas ; c’est un abus de langage, ou plutôt une méconnaissance de la nature de l’enfant qui nous pousse à coller cette étiquette sur le premier de ses sanglots. Il s’agit plutôt de l’expression d’un besoin qu’il faut combler au plus vite : et le besoin affectif en fait partie, alors câlins à volonté !
Au fond, il faut aujourd’hui, alors que le système traditionnel démontre ses failles chaque jour, et que nos sociétés souffrent d’un manque cruel de bienveillance et de coopération, tenter pour chacun de nous d’apprendre à tisser des liens à force de rire et de mains tendues : l’enfant est sensible à l’humour rappelle Emmanuelle Opezzo, et le rire à cette capacité formidable de faire des parents et des enfants des égaux… Faut-il avoir peur de perdre son autorité ? La question ne se pose pas ainsi, les parents représentent évidemment l’autorité, mais il s’agit à présent de repenser la définition de ce mot, en cessant de le croire irrémédiablement lié à l’arbitraire et à l’austérité.
Une maison aux mille trésors
Peut-on réellement, vous demandez-vous tout de même, faire du Montessori à la maison sans ce fameux matériel précité ? Oui, encore et encore ; à plusieurs reprises, tout au long de l’ouvrage en vérité, Emmanuelle Opezzo revient sur ces notions de motricité globale et motricité fine. L’intelligence en construction de l’enfant s’appuie sur le réel. Son environnement est une source inépuisable de découvertes et de surprises : il est là, le matériel qui fera intervenir les cinq sens du chérubin. Dans une grande maison comme dans un tout petit appartement, il y a toujours la place pour ses expériences quasi-scientifiques. Les objets du quotidien que l’enfant manipule et goûte (oui, oui ; métal, plastique, verre, tout y passe) sont son premier contact avec le monde. Plutôt que de les lui soustraire systématiquement, mieux vaut faire en sorte d’avoir son « environnement préparé ».
Une fois que chaque pièce de la maison a été aménagée pour recevoir bébé sans crainte (rien de sorcier, il s’agit surtout de ranger les objets dangereux ou de les mettre hors de sa portée), et comme nous ne sommes pas tous des amateurs de « la tendance déco scandinave », il faudra que les parent fassent un nouveau travail sur eux et se demandent ce qui les dérange au fond dans le fait que bébé touche à tel ou tel objet : est-ce dangereux pour lui ? Y a-t-il un problème d’hygiène ? Sans oublier qu’on peut négocier ce dernier critère, si la réponse est globalement non dans les deux cas, alors il faut bien reconnaître que le « non » qui menace de tomber comme un couperet est infondé. Dire « non » trop souvent à l’enfant l’inhibe et entrave la construction de son intelligence et de son estime de soi.
Habillage, repas, sommeil, jeux… il reste encore beaucoup à dire de ce livre aux 200 pages foisonnantes de bons conseils. Une fois rappelés les principes, dans cette gentille écriture qui fait le cœur léger, Emmanuelle Opezzo consacre assez longuement sa plume à compléter tout cela de recommandations concrètes qui s’insèrent très bien dans la vie de chacun ; pas besoin de chambouler profondément l’ordre de la maison, le plus gros du travail, c’est dans la tête et dans le cœur qu’il se fera.
PS : je reviendrai dans un prochain article sur toute une série d’exemples concrets, issus du livre et d’ailleurs.
Voir aussi deux articles précédents sur Maria Montessori :
YR pour l’Association Oze
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