En ce début d’année 2015, Najat Vallaut-Belkacem, Ministre de l’Education Nationale, va recevoir les conclusions du Conseil Supérieur des Programmes qu’elle avait chargé de réfléchir au passage d’une évaluation scolaire traditionnelle à la française (notes sur 20) à un système d’évaluation bienveillante.
Dans son préambule, le Conseil Supérieur des Programmes indique qu’il « souhaite promouvoir une évaluation qui soit au service de l’amélioration de la qualité de la scolarité obligatoire. Il s’agit de construire un processus d’évaluation qui, à la fois, donne confiance aux élèves et à leurs familles et fasse confiance aux professeurs. »
Véritable serpent de mer des débats éducatifs depuis une quarantaine d’années, le sujet de la suppression des notes à l’école enflamme donc à nouveau les esprits.
Ce conseil préconise effectivement d’abandonner en partie le système actuel de notation sur 20 en abandonnant les moyennes, ces «calculs artificiels», et lui préfère la mise en place d’une nouvelle échelle comportant quatre à six «niveaux de maîtrise». La note sur 20 qui peut être maintenue occasionnellement se devrait d’être «indicative», et non «perçue exclusivement comme un moyen de récompense ou de sanction et un instrument de tri et de hiérarchisation sociale des élèves»
Il préconise aussi de réformer le brevet des collèges à l’issue de la troisième.
http://www.education.gouv.fr/cid75495/le-conseil-superieur-des-programmes
Quels sont les avantages et les inconvénients d’un tel système : petit récapitulatif des arguments de chaque partie en présence :
1- De nombreux pays ont adopté depuis longtemps un système différent du nôtre et force est de constater que leur niveau scolaire est largement meilleur.
Effectivement, de nombreux pays pratiquent depuis longtemps un système de notation sans note. Les formes en sont très variées : des lettres (A, B, C, D) aux Etats Unis ou en Angleterre, un système de couleur au Canada (rouge, orange, vert, bleu) ou des notes de 1 à 6 en Allemagne.
L’exemple typique du système d’évaluation bienveillante reste la Finlande où les élèves ne sont évalués qu’à partir de l’âge de 9/10 ans, la note minimale est un 4/20 et où le redoublement n’existe pas. Il n’existe qu’un examen : le baccalauréat.
Mais ce discours largement mis en avant par les partisans de l’abandon des notes ne reflète pas tout à fait la réalité. S’il est vrai que la Finlande nous devance largement au classement PISA (classement mondial évaluant tous les 3 ans le niveau moyen des élèves de 15 ans), il faut noter qu’elle a chuté de 10 places au dernier classement laissant passer devant elles de nombreux pays d’Asie où le système d’évaluation des élèves est plutôt axé sur un système ultra compétitif.
Cependant la Finlande reste 12ème alors que la France perd encore 3 places pour se situer au 25ème rang mais ce classement révèle surtout l’écart croissant en France entre ceux qui réussissent et ceux qui décrochent.
Plus grave, l’ancien Ministre de l’Education Nationale, Vincent Peillon, a déclaré en 2012 que les élèves français étaient, avec les petits japonais, les plus stressés des pays de l’OCDE. « La proportion d’élèves qui disent être très tendus lorsqu’ils ont un devoir de mathématiques à faire représente plus de 50% en France et au Japon, contre 7% seulement en Finlande. L’OCDE calcule un ‘indice d’anxiété’ où, en la matière, il n’y a que la Tunisie, le Brésil, la Thaïlande, le Mexique et la Corée (seuls ces deux derniers étant membres de l’OCDE) pour faire pire », (Slate) . Or la pression des notes est depuis longtemps un facteur identifié de stress des élèves français.
2- le système de notation sur 20 est extrêmement stigmatisant pour un élève en difficulté
Dans le cadre de sa lutte contre les inégalités scolaire, la ministre pose effectivement le problème de la juste évaluation en considérant que le but de l’enseignement, c’est d’apprendre et non de sanctionner.
C’est vrai que une mauvaise note peut décourager très rapidement un élève et et lui donner le sentiment qu’il est nul et qu’il n’y arrivera jamais.
Le sociologue Pierre Merle estime que si la note n’est pas un handicap pour les bons élèves, elle décourage l’élève faible. Son envie d’apprendre diminuera car il a l’impression que seule la note compte et c’est en partie vrai dans notre système éducatif. Un 3/20 en début d’année est presque impossible à rattraper et la fameuse moyenne s’en ressentira toujours quels que soient les efforts apportés par l’élève ultérieurement.
De plus, cette fameuse note ne reflète en rien le niveau réel de l’élève car elle est trop globale et ne dit rien sur les lacunes réelles.
Quel parent ne demande jamais « ‘tu as eu à combien à ton contrôle », se satisfaisant d’un 12/20 ou au contraire râlant pour un 5/20 sans se poser la question de savoir dans quel domaine l’enfant a obtenu les points ou au contraire n’a visiblement pas assimilé ce qu’on lui demandait.
Il sera donc difficile par exemple dans un 2/20 en dictée si les lacunes se situent en orthographe, vocabulaire ou encore grammaire.
En appliquant ce système de notation sur 20, il apparait donc que l’élève qui reçoit une mauvaise note se décourage très vite en ne voyant dans l’évaluation de son travail que la sanction en non l’encouragement qui pourrait l’aider à progresser.
Ce système d’évaluation bienveillante est déjà très largement mis en place dans les écoles primaires avec un bulletin de notes remplacé par de nombreuses pages de tableaux révélant à nous, parents si la notion est A (acquise), ECA (en cours d’acquisition) ou NA (non acquise) … Avouons que parfois, l’intitulé même de la compétence évaluée n’est pas d’une limpidité totale pour qui n’est pas enseignant … mais c’est un autre débat !
Cependant, il faut aussi noter que si très souvent en primaire les notes ont disparues, elles ont vite été remplacées par des TB, B … eux même remplacés par une notation bienveillante plus « fine « avec des TTB (très très bien ) des TTBBRAVO ou alors des C+++ …
L’enseignant a donc besoin d’affiner sa notation afin de la rendre plus claire et on se demande alors ce qui fait la différence avec une notation sur 20 …
On peut aussi légitimement se poser la question de l’inévitable confrontation d’un élève au monde adulte qui laisse peu de place à la bienveillance mais favorise plutôt la sélectivité et la compétitivité.
Comment se comporteront certains élèves quand pour la première fois ils devront passer un examen (si le brevet des collèges est remis en cause, le baccalauréat lui reste l’examen final incontournable), ou alors quand il sera soumis à la sélection des admissions post bac ou lors d’un entretien d’embauche.
Les bons élèves supporteront la pression mais les moins bons resteront quoiqu’il arrive un jour ou l’autre confronté à la sélection et à la notation.
Supprimer les notes reviendrait, selon certains, à supprimer le thermomètre et non la fièvre.
Pour Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale, « Une évaluation n’a pas à être bienveillante, il suffit qu’elle soit objective. » et concernant l’abandon de la notation « la réalité postscolaire se chargera de la rappeler, et de manière autrement plus dure ».
Le SNAC (syndicat national des lycées et des collèges) a lui donné un très sévère 2/20 au Conseil Supérieur des programmes en refusant que la notation chiffrée soit « « perçue exclusivement comme un moyen de récompense ou de sanction et un instrument de tri et de hiérarchisation sociale des élèves. Oser affirmer que c’est la notation chiffrée qui serait à l’origine de la perpétuation des inégalités sociales, personne n’avait encore osé le faire «
Si ce mode d’évaluation bienveillante a déjà fait une rentrée sans heurts en maternelle et primaire, le débat sur la suppression des notes au collège et lycée risque de durer encore de très longues années …
Béatrice PINAULT, pour l’association Oze
www.oze-coaching.fr
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