Au cours de la première moitié du 20ème siècle, les élèves éprouvant des difficultés scolaires se voyaient attribués différentes dénominations. On parlait alors d’élèves en retard, d’enfants arriérés ou de débiles mentaux. Depuis les années 1960, les termes d’élèves en échec scolaire, inadaptés ou handicapés se sont peu à peu imposés, jusqu’à celui d’élève en difficulté.[1] Qu’en est-il des mesures prises à l’égard de cette problématique aujourd’hui et notamment celle du traitement médicamenteux ?
La médicalisation du comportement de l’élève
Aujourd’hui, pour répondre aux problématiques de l’échec scolaire et des élèves en difficulté, de plus en plus de politiques s’axent sur la prévention mécanique. Cette dernière, en tant que programme de promotion de la santé mentale, a pour ambition d’être généralisable à de grands nombres d’enfants, d’être peu coûteuse et de faciliter la gestion des troubles par l’enseignant. Afin d’évaluer les troubles chez l’élève, ce type de politique s’appuie sur des questionnaires de comportement. Mais aussi sur des programmes standardisés de contrôle des émotions, d’habiletés sociales…
Le DSM-IV (manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux) est largement utilisé en Amérique du Nord. Par exemple, la réponse médicale à l’hyperactivité s’accompagne d’un traitement médicamenteux. En l’occurrence, il s’agit de la prise de méthylphénidate (MPH), aussi appelé ritaline. Le MPH est un psychostimulant qui, à forte dose peut provoquer des effets secondaires psychotiques, cardiovasculaires ou sur la croissance.[2] En France, la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent (CFTMEA) est privilégiée.
De ce fait, le comportement de l’élève est de plus en plus appréhendé sous l’angle médical. Comme le relève Stéphanie Ronchewski Degorre, certains psychiatres considèrent qu’il y a des cas sur-diagnostiqués (solution de facilité, prise de médicaments excessive et incitation de la part des industries pharmaceutiques).
Le traitement médicamenteux face aux critiques
Dans le sillage bourdieusien, les sciences sociales ont prédominé, jusque dans les années 1980, sur les questions relatives à l’échec scolaire et à l’élève en difficulté.[3] Ainsi, elles rendaient compte de l’origine de ce phénomène social par le rapport distant que certains élèves entretenaient face à la forme, la culture ou les normes scolaires.
Aujourd’hui, le regard médicalisant porté sur les élèves qui ne réussissent pas, semble exclure de la réflexion leurs conditions sociales.[1] C’est-à-dire que l’on se dispenserait d’interroger les conditions dans lesquelles se développe cette inadaptation. Au lieu de questionner ses propres normes, l’école semble mettre en place des mesures palliatives et expéditives.
Peut-on traiter l’origine de la souffrance ?
Cette réponse médicale s’adresse à un symptôme et non à l’origine de la souffrance. En effet, la prise de psychostimulant traite uniquement l’effet et non pas la cause. Comme le souligne Sylviane Giampino : « Le symptôme n’étant à son tour que la partie visible de l’iceberg, une protubérance à partir de laquelle, si on reste là, on ne peut ni comprendre ni traiter, ni prévenir le problème. À moins de prendre le sommet pour la racine. »[4]
En contrepoint, cette médicalisation de la souffrance des enfants est, à l’heure actuelle, légitimée par les neurosciences[4], soit l’explication des troubles par des caractéristiques biologiques propres à l’individu. De fait, la crainte d’une dérive vers un déterminisme biologique[5] semble partagée par certains chercheurs. Le traitement médicamenteux contribuerait, selon Stanislas Morel, à « naturaliser les inégalités et à diffuser une idéologie des dons biologiquement fondée »[3].
Plus largement, il s’avèrerait que cette logique médicale s’intègre à une tendance actuelle occidentale. Celle d’individualiser et de médicaliser la souffrance psychologique, sociale ainsi que les dysfonctionnements des institutions. « Les médicaments psychotropes administrés à des enfants de plus en plus jeunes seraient la solution la plus simple. »[4]
Victor Sokolovitch pour l’Association OZE
[1] L’élève en difficulté : retours sur une psychologisation du social. Christophe Roiné. (2014)
[2] Comment prendre soin de l’enfant hyperactif à l’école ? de l’élève indiscipliné à l’élève handicapé. Stéphanie Ronchewski Degorre. (2017)
[3] Trouble dans les apprentissages : neurosciences cognitives et difficultés scolaires. Stanislas Morel (2016)
[4] À trois ans tout n’est pas joué. Sylviane Giampino. (2012)
[5] Biologisme (ou déterminisme biologique) : l’individu serait déterminé en fonction de sa « nature » (génétique).
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