Pourquoi le youpala est-il mauvais pour le développement de l’enfant ?

Aujourd’hui, je voulais vous parler d’un sujet qui me tient à cœur en tant que psychomotricienne : l’apprentissage de la marche avec un trotteur (que l’on appelle plus souvent youpala).

Durant les réunions d’informations que j’anime pour les professionnels de la petite enfance, ou pour des parents, la question du trotteur est abordée à chaque fois. C’est un sujet qui passionne beaucoup et où mes arguments sont très attendus. Car, en effet, beaucoup de professionnels ou parents savent que le youpala est mauvais pour le développement de l’enfant mais pas vraiment pourquoi.

Alors voici pourquoi les psychomotriciens ne recommanderont jamais l’utilisation du trotteur ou youpala pour apprendre à marcher.

 

youpala

 

Comment se met en place la marche ?

La marche est une étape du développement psychomoteur de l’enfant. C’est-à-dire qu’elle s’inscrit dans une suite d’évènements qui amènent l’enfant vers la marche autonome. Pour parvenir à cette étape naturellement, l’enfant doit passer par différents stades intermédiaires qui sont (dans l’ordre) :

  • Apprendre à se retourner du dos sur le ventre
  • Savoir se retourner du ventre au dos
  • Ramper
  • Faire du 4 pattes et se mettre assis tout seul (étapes qui en général sont concomitantes)
  • Se tenir debout avec appui puis sans
  • Premiers déplacements debout avec appui

Grâce à ce respect des étapes physiologiques, l’enfant découvre le mouvement du haut et du bas de son corps au niveau des deux ceintures (épaules et bassin) qui lui seront utiles pour trouver son équilibre dans la marche. Essayez en effet de marcher sans bouger vos épaules et votre bassin en opposition et vous comprendrez très vite en quoi les enroulements et les torsions au sol des premiers mois sont si importants chez bébé.

 

Ecouter son corps et à découvrir ses appuis

En commençant à lever son bassin pour se mettre à 4 pattes, bébé va élever son centre de gravité et apprendre à répartir son poids du corps pour ne pas s’écraser au sol. Il apprend en effet à écouter son corps et à découvrir ses appuis. Mais aussi à transférer son poids du corps pour trouver son équilibre. Toutes ces découvertes lui seront utiles pour le prochain déplacement du centre de gravité, c’est-à-dire le passage en position debout. Je ne suis pas sûre que vous seriez rassuré si on vous plaçait sur des échasses de votre taille, comme ça, sans vous être entraîné préalablement sur des échasses de petites tailles. En y allant progressivement on apprend à découvrir ces nouvelles sensations en confiance. Et surtout à comprendre comment se dégager de cette situation en sécurité.

Car apprendre à marcher c’est aussi ça ! Explorer les transitions de chaque posture (assis, debout, 4 pattes) pour passer de l’une à l’autre sans effort en cas de fatigue. Et être maître de ses mouvements procure un grand sentiment de sécurité pour l’enfant. En prenant confiance dans ses capacités motrices, l’enfant va limiter ses risques de chutes et d’accidents. Car il ne se lancera que dans des explorations qu’il maîtrise.

Savoir se déplacer seul c’est aussi explorer l’espace dans lequel on évolue. L’enfant passe sous la table, enjambe le cube laissé au sol, contourne la chaise en s’y maintenant, etc. Cette exploration sera la base de son repérage spatial futur.

 

Pourquoi vouloir utiliser un youpala ?

Lorsque je rencontre des parents qui utilisent des youpalas je ne cherche pas à les culpabiliser. Je pense qu’être parent est bien assez compliqué comme ça. Et qu’avec tous les conseils que l’on reçoit on a du mal à s’y retrouver.

Mon rôle est de faire de la prévention et surtout de mettre du sens sur l’importance de laisser l’enfant découvrir par lui-même ses capacités motrices. Mais je m’interroge sur ce besoin d’utiliser ce type d’objet, non seulement coûteux, mais en plus très encombrant chez soi. Et là, plusieurs réponses me sont données :

  • Pour aider bébé à marcher et muscler ses jambes
  • Pour le laisser évoluer dans la pièce sans avoir peur qu’il ne tombe ou se blesse
  • Pour qu’il puisse se déplacer sans avoir à le tenir en permanence

Malheureusement même si le youpala semble soulager le parent au début, son utilisation et ses conséquences vont plutôt avoir l’effet inverse à long terme. Et encore je ne vous parlerai pas du risque d’accidents liés à cet objet. Car je crois que l’information est assez relayée. Et pour le coup, les parents en sont en général conscients.

 

youpala

 

Pourquoi le youpala est-il mauvais ?

Alors maintenant venons-en au vif du sujet : en quoi ce youpala va entraver le développement psychomoteur de l’enfant et avoir éventuellement des conséquences sur le développement futur de l’enfant ?

  1. Dans un youpala, bébé est assis. Il a alors tendance à pousser sur ses jambes quand ses pieds touchent le sol (argument qu’avancent tous les utilisateurs de youpala). Mais dès que la fatigue s’installe, bébé va alors reposer son poids sur le siège et avancer en position assise. Ses jambes sont alors fléchies. Et c’est en basculant son buste en avant et en poussant sur ses pointes de pieds que le déplacement va se faire. Cette marche inclinée en avant et sur pointes se retrouve très généralement en dehors du youpala. Et peut, comme vous l’imaginez, entraîner des problèmes d’équilibre (en plus de déformations du pied et de rétractations des tendons).
  2. Le mouvement étant facilité par des roulettes, le youpala va fausser les sensations de vitesse, de freinage et de direction. Une fois en dehors du youpala l’enfant ne comprendra pas cette différence de sensation. Et ne saura donc pas comment adapter sa position pour accélérer ou changer de direction.
  3. Bien enfermé dans son arceau, bébé n’apprend pas à utiliser son réflexe parachute qui permet de mettre ses bras en avant pour se protéger en cas de chute. Une fois sorti du trotteur, le réflexe de protection n’est pas acquis. Et le risque de blessure durant une chute est augmenté.
  4. Avec cette culotte qui le soutient, bébé ne voit plus ses jambes ni ses pieds. Ni donc tout ce qui se trouve au sol. C’est non seulement mauvais pour sa conscience du corps. Mais cela lui empêche d’apprendre à regarder ce qui se trouve à ses pieds pour l’éviter.
  5. L’arceau « de protection » prolonge le schéma corporel de l’enfant. C’est à dire qu’il le perçoit comme une continuité de son corps. Lorsqu’il approche d’un obstacle, la distance de sécurité qu’offre l’arceau le protège. Mais une fois sorti du youpala, bébé n’anticipe pas cette distance. Et ne pense pas à freiner son mouvement et se cogne alors très souvent.
  6. L’autonomie souvent mise en avant par les utilisateurs est erronée. Car bébé est dépendant de l’adulte pour entrer et sortir du trotteur. Mais aussi pour se dégager de certaines situations où le youpala se retrouve bloqué.
  7. Et enfin, comme pour toute situation où l’enfant est coincé dans une position dont il ne sait pas se défaire, cela entraîne une hyper vigilance et des compensations posturales. Celles-ci peuvent être source de tensions musculaires et émotionnelles.

 

Et si nous laissions les enfants faire eux-mêmes leurs expériences ?

Imaginez-vous, placé en haut d’un arbre sans qu’on vous ait demandé votre avis. Ne pensez-vous pas que vous allez commencer par vous agripper fortement aux branches. Puis ensuite regarder partout autour de vous de peur que quelque chose vous fasse tomber. Alors que si vous aviez grimpé vous-même jusqu’au sommet, vous auriez observé les branches sur lesquelles vous appuyer, tester les plus solides et peut être recommencé pour évaluer une autre solution.

Non seulement un sentiment de fierté vous envahirait une fois arrivé au terme de votre ascension. Mais également un sentiment de sécurité et de liberté de pouvoir repartir en sens inverse en cas de fatigue.

Alors si nous laissions les enfants faire eux-mêmes leurs expériences ? Car la marche n’est pas qu’une simple étape de développement. C’est surtout la conséquence d’une découverte de son corps et de ses appuis au sol. Mais aussi le fruit d’une maturation neurologique qui s’exprime à son rythme.

Moi et mes collègues ne le répèterons jamais assez mais rien ne sert de forcer la nature. Ce n’est pas l’âge d’acquisition de la marche qui est importante mais le respect des étapes pour y parvenir.

 

Les effets à long terme

Alors bien sûr des commentaires tels que « Mais moi mes enfants ont tous marché en youpala et ils n’ont eu aucun problème par la suite » vont découler de cet article. Tant mieux, cela veut dire que le sujet demande encore d’être traité.

A cela je répondrai surement que, oui, il est vrai que tous les enfants qui ont appris à marcher en trotteur ne souffriront pas de retard psychomoteur ou de problèmes d’équilibre. On sait tous aussi qu’il est mauvais pour notre santé de manger trop sucré ou de fumer. Et pourtant on le fait en se disant que si c’est vendu. Et que si ce n’est pas interdit, c’est que ce n’est pas si dangereux. D’ailleurs certains n’auront aucune conséquence sur leur vie future et d’autres n’auront pas cette chance.

Et bien c’est un peu pareil dans le cas du trotteur. Certains parviendront à compenser par d’autres expériences motrices les dommages du youpala. Et d’autres se feront par exemple recevoir par la maîtresse vers 7/8 ans pour des problèmes de repérage dans l’espace, de graphisme ou de difficulté de lecture. Certes, ce ne sont pas des troubles majeurs la plupart du temps. Mais je pense que vous et vos enfants avez d’autres choses à faire ensemble le soir après l’école ou le mercredi que d’aller consulter un psychomotricien… si gentil soit-il 😉

 

Comment aider bébé à marcher ?

Mais alors comment fait-on pour aider bébé à marcher ? Et bien rien justement. Enfin si, on lui aménage un espace adapté à ses capacités. Et on le laisse découvrir son corps et ses capacités, ce dès le plus jeune âge. Et si vous voulez d’autres conseils n’hésitez pas à lire ou relire mon article sur l’apprentissage de la marche ici. J’y parle des premières chaussures pour aider bébé à marcher. Et de ne surtout pas faire ce que vos grands-mères vous ont toujours dit. Allez bonne lecture !

 

youpala

 

 

 

pour l’Association OZE

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