Eduquer sans récompense… mais pourquoi ?

Maria Montessori disait que les récompenses sont « l’esclavage de l’esprit ». Près d’un siècle plus tard, les récompenses sont toujours utilisées dans l’éducation. Bien que pratique, l’éducation par la récompense s’oppose à l’éducation bienveillante… Explications.

 

Le chien de Pavlov et le conditionnement

Tout commença avec le chien de Pavlov. Au cours des années 1890, le médecin et physiologiste russe Ivan Petrovitch Pavlov réalisa une expérience sur la salivation des chiens. Il nourrissait un chien avec de la viande en poudre. Et grâce à un tuyau inséré dans la bouche de l’animal, il récoltait la salive produite pour l’analyser et la quantifier. Il remarqua qu’après avoir reçu de la viande plusieurs fois, un chien qui revenait au laboratoire de recherches commençait à saliver avant même d’être nourri. Le chien associait la situation présente à la situation suivante. Pavlov vit dans ce phénomène la base de l’apprentissage, et le nomma « réflexe conditionnel ». En continuant ses expériences, il comprit qu’on pouvait associer plusieurs sortes de stimuli à une récompense (comme la viande), et cela aboutissait au même résultat : le conditionnement de l’animal.

Aujourd’hui, les découvertes de Pavlov sont utilisées pour dresser les animaux en les conditionnant pour obéir, via l’obtention d’une récompense (ou d’une punition). On utilise des récompenses suffisamment désirables pour que l’animal veuille l’obtenir. Petit à petit, il en devient dépendant, tout en devenant docile.

Cette forme d’apprentissage fait appel au circuit de la récompense. Présent dans le cerveau de tous les mammifères, ce circuit récompense notre organisme par la libération de molécules (dopamine, opioïdes endogènes, cannabinoïdes endogènes) pour certains comportements (nutrition, reproduction, etc.). C’est un avantage biologique considérable qui permet aux mammifères de s’adapter à leur environnement.

 

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L’enfant peut être conditionné par la récompense

L’humain est aussi soumis à son propre circuit de la récompense cérébral. Dès lors, il peut être conditionné comme l’a été le chien de Pavlov : un enfant peut être « dressé » par la récompense. Et en devenir dépendant. Cela peut demander un tantinet de patience, mais c’est facile à mettre en place, et diaboliquement efficace. « Finis tes devoirs et tu pourras aller jouer » a le même effet sur tous les enfants… Ou presque. Certains vont obéir, d’autres vont apprendre à tricher pour obtenir la récompense tant désirée. Tous auront un point commun : ils n’auront pas compris pourquoi ils doivent finir leurs devoirs.

L’éducation par la récompense ne pousse pas à comprendre, elle n’inculque pas les valeurs parentales. Et elle fait encore moins grandir l’enfant mentalement. Elle se contente de lui faire ingurgiter des comportements prêt-à-porter. Si l’enfant proteste ou pose des questions, on dira qu’il « discute », qu’il est « indocile ». Mais si l’éducation par la récompense fonctionne, on aura réussi : l’enfant sera obéissant. Il exécutera les ordres sans réfléchir pour obtenir son dû… Quel genre d’adulte cela construit ?

 

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Adieu motivation, bonjour dépendance !

Cela ne forme pas un adulte passionné, en tout cas. Les récompenses déconstruisent le pouvoir de la motivation intrinsèque de l’enfant. Celui-ci, dès sa naissance, est curieux et passionné. Il trouve ses propres occupations et les adore ! Quoi de plus agréable que le dessin ? Quoi de plus exaltant que de construire des cabanes ? L’enfant ouvre son coeur au monde. Enfin… sauf si on le paye pour ça. La motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque (due à un facteur externe) sont corrélées à l’inverse l’une de l’autre. Conséquence : plus on récompense quelqu’un pour une action, plus il perd son intérêt pour cette action et cherche uniquement à obtenir la récompense. L’objectif n’est plus de prendre plaisir à faire un dessin, mais d’être félicité par ses parents. La motivation intérieure est remplacée par la dépendance à une récompense externe.

Et ainsi, l’enfant n’agit plus pour lui, mais pour plaire, pour obtenir une gratification extérieure… Il devient dépendant du jugement d’autrui. En cela, l’utilisation des récompenses s’apparente à l’emploi des punitions, puisque l’absence de récompense est vécue comme une punition… « Qu’ai-je fait de mal ? Pourquoi mes parents ne sont pas contents de moi ? ». C’est d’autant plus malsain que l’enfant, une fois adulte, ne sera pas récompensé pour toutes ses bonnes actions. Il devra parfois agir simplement parce que « ça doit être fait », et se satisfaire de ses propres récompenses internes. Ce qui est loin d’être encouragé par le système de récompenses : il ne forge pas des adultes responsables.

 

La joie intérieure et la gratitude d’autrui

Pour Maria Montessori, les seules récompenses qu’un enfant doit connaître sont la joie intérieure, procurée par l’accomplissement d’une tâche, et la gratitude d’autrui. La bonne nouvelle, c’est que le circuit de la récompense dans notre cerveau est parfaitement taillé pour ça ! A condition qu’il ne soit pas rendu dysfonctionnel par la dépendance à des récompenses extérieures.

Pour éviter d’en arriver là, je vous propose de continuer avec cet article sur les alternatives aux récompenses extrinsèques : https://apprendreaeduquer.fr/comment-remplacer-les-recompenses-8-alternatives-aux-recompenses/.

 

Eléonore Solé pour l’association OZE

https://book-deleonore-sole.jimdosite.com/qui-suis-je/